Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Béatrice Rengade, psychologue

Le sens des responsabilités, étude

8 Juin 2009 , Rédigé par Béatrice RENGADE Publié dans #ARTICLES - ETUDES

Le sens des responsabilités

ETUDE – PARTIE THEORIQUE

Béatrice RENGADE

2002

 

 

 

          A. Définition générale: la responsabilité

 

            Le terme "responsabilité" est apparu assez récemment. Il découle du mot "responsable" du latin, "respondere", qui signifie répondre, ici "être capable de réponse".

Selon le Grand dictionnaire de la psychologie Larousse, 1997, la responsabilité est "l'obligation de rendre compte de ses actes, devant certaines instances, selon des procédures bien déterminées". Ces instances peuvent être tant la loi que sa conscience, ce qui montre la variété des réponses attendues.  

Le Dictionnaire Hachette de 1980 souligne que "la responsabilité suppose d'agir en connaissance de cause", et que celui qui est dit responsable est "tenu de répondre de ses actes ou, dans certains cas, de ceux d'autrui. On est responsable devant la loi, devant sa conscience".

            Cette notion se situe donc entre une pratique et une réflexion éthique dans une situation déterminée sur le plan sociologique. Il s'agit d'un sujet, fondamentalement libre, appelé à répondre de fait(s) où il est impliqué. Nous développerons le postulat de liberté humaine vis à vis de la responsabilité morale, mais en attendant, la responsabilité traduit ici une solidarité complète du sujet avec l'acte et serait une condition préalable à toute obligation. L'obligation n'existe d'ailleurs que par rapport à une autorité (intérieure ou extérieure) reconnue par le sujet et qui attend une réponse.

Mais avant toute réponse, la responsabilité met en jeu tant le passé, le présent et le futur parce qu'elle implique une prévision des conséquences, dans le cadre d'un système de pensée collective, d'un idéal indiscutable, antérieur à l'action et diachronique.

Nous pouvons donc voir ici la responsabilité comme un engagement à une façon particulière de penser son action en relation à ses conséquences.

 

            Répondre devant un système :

 

            Nous verrons donc d'une part que répondre devant une loi extérieure au sujet demande d'être inscrit dans institution. Cette inscription conjugue la volonté du sujet qui s'engage à y adhérer et la volonté du groupe ou du système qui lui attribue une place, un statut, comportant des droits et des obligations en relation avec l’idéal collectif.

            D'autre part, répondre devant sa conscience suppose d'avoir atteint une autonomie morale acquise par un développement de sa personnalité permettant de s'affirmer en tant que sujet ayant des valeurs propres et capable de s'auto-évaluer. A ce niveau, il convient de se demander quelles sont les valeurs auxquelles croit le sujet, qu'il souhaite promouvoir ou défendre et au nom desquelles il agit (son idéal du moi).

Dans les deux cas, le sujet se porte solidaire volontairement d'un système de pensée critique fait de morale et de réflexion éthique, qui va au delà de l'instant.

 

            Pour qu'une personne physique ou morale nous demande des comptes, nous questionne, celle-ci doit être habilitée à le faire au nom d'un système. D'où la nécessité de prendre position par rapport à ce système en faisant le choix soit d'y adhérer, soit de s'y opposer. Dans le cas d'une adhésion, le sujet accepte d'appartenir au système qui lui attribue des droits et des devoirs. Il s'engage donc à répondre du meilleur comme du pire, à assumer les côtés plus désagréables de l'institution. Cette prise de position implique comme tout choix de ne pas forcément plaire à tout le monde, de ne pas profiter de tous les avantages en évitant les inconvénients. Elle implique donc un risque.  Et pour aller jusqu'au bout de cet engagement, il semble essentiel de prendre conscience de tout ce qu'il implique.

 

            La responsabilité dans la relation à l'autre : entre liberté et contrainte.

 

            Le préfixe "re" de responsabilité indique que l'action concerne deux acteurs : on répond à quelqu'un d'autre (une institution, une personne, une valeur…) ou quelqu'un d'autre nous demande moralement ou juridiquement de répondre. Ce mot s'inscrit donc dans une relation entre deux sujets dont l'un peut être collectif. En cela, la responsabilité qui s'inscrit dans la relation suppose d'avoir atteint une maturité suffisante pour reconnaître l'existence de l'autre comme "non-moi" au sens de Winnicott.

            C'est ce que Lévinas décrit dans "la transcendance d'autrui". Sa philosophie de l'altérité, où l'extériorité de l'autre est reconnue, s'oppose à la philosophie de l'intériorité du moi et de la raison. Lévinas parle de la "totalité" de façon péjorative pour l'homme qui ramène l'autre à lui-même dans une con-fusion empêchant l'altérité.  L'homme aurait à l'origine cette illusion d'être le tout, d'être à l'origine du monde, tout puissant, se prenant pour le Moi Idéal. Mais cet infinie totalité doit se rompre par l'irruption d'un événement nouveau dans le moi : "L'épiphanie du visage". Ce visage (de l'autre) laisse paraître sa propre lumière dans son regard : il n'est pas éclairé par une lumière extérieure comme les objets. Je ne peux pas, en conséquence les traiter comme des objets, mais comme des êtres semblables à moi. Aussi, en me regardant, autrui me remet en cause par rapport à ce que je suis, ce que je possède. Il remet en cause ma liberté et mes obligations morales.

 

            De façon plus tranchée, Sartre ne voyait dans autrui que le révélateur, indispensable mais menaçant, de la profondeur de ma liberté. Pour lui, la liberté, qui ne fait qu'un avec l'existence, est une donnée immédiate et non une conquête comme c'est le cas dans la plupart des doctrines de la philosophie classique. La grande difficulté sera donc le rapport de ma liberté avec celle d'autrui. Mais si Sartre se voulait être un individualiste acharné avec une philosophie subjectiviste poussée à outrance, l'expérience de la guerre l'aurait fait évoluer sur le point de la connaissance de l'autre. Aussi, il soutenait dans ses premières œuvres que l'homme ne s'affirmait que par opposition à autrui ne faisant que restreindre sa liberté, tel un "enfer". Tandis qu'ensuite, dans "La critique sur la raison dialectique" (1960) il commence à percevoir l'homme vivant davantage "pour autrui", avec empathie, en éprouvant la connaissance de l'autre à travers et par delà sa propre subjectivité. Au final, c'est au contact de l'autre que la liberté et la responsabilité s'affirment et prennent toute leur valeur. Il y aurait ainsi un certain équilibre entre la responsabilité choisie en tant que volonté autonome et la responsabilité imposée par l'autre et assumée par solidarité.

 

            Avoir acquis le sens des responsabilités, c'est semble-t-il avoir acquis le sens de l'autre. Si pour J.M.DOMENACH "il n'y a pas de liberté sans responsabilité", la liberté est conquise ou donnée, mais toujours rattachée à l'autre, au souci de l'autre. Cependant, il semblerait que "le souci de ne pas se mettre en infraction, de ne pas devenir coupable, l'emporte sur celui d'obéir aux normes sociales ou de ne pas nuire à autrui". Pour l'auteur, la culpabilité serait inséparable de la responsabilité, d'un point de vue subjectif et objectif.

- Il définit d'une part la responsabilité subjective comme "la conscience que prend l'individu des répercussions de ses actes et qui naît le plus souvent d'un sentiment de culpabilité que l'éducation imprime très tôt dans l'esprit de l'enfant".

- D'autre part, la responsabilité objective relèverait d'une évaluation sociale (attentes) dont le sujet devrait également être conscient pour y répondre. Et cette évaluation sociale serait celle d'une seule personne, d'une opinion collective, d'un organisme spécialisé (tel que les assurances) ou de la justice.

            Nous percevons ici la double référence de la responsabilité, interne et externe. L'écoute de son Idéal, de sa volonté individuelle (Idéal du Moi) et de ses émotions s'articule avec la prise en compte des exigences sociales et des normes collectives (Surmoi). La responsabilité se pose entre affirmation de soi et adaptation.

 

            Ici peut résider le paradoxe de la société actuelle lorsqu'elle transmet que ce qui prime est la recherche du plaisir, "avatar à la mode de la  morale sans obligation ni sanction, comme s'il suffisait de se plaire et de s'aimer soi-même pour annuler les devoirs que nous avons vers autrui"(DOMENACH).C'est l'incitation à la régression vers l'âge du narcissisme primaire où l'enfant est l'objet de son investissement dans une toute puissance, où l'autre n'est pas pris en compte. L'épreuve de réalité mal supportée serait remplacée par le principe de plaisir.

            Le règne de la satisfaction immédiate des besoins et des pulsions réduit alors l'intériorité, les représentations abstraites et symboliques de désirs, qui n'ont pas le temps de se constituer parce que les manques sont comblés trop rapidement de façon concrète.

 

            L'ambition éthique de la responsabilité :

 

            Pour P. RICOEUR, la responsabilité s'inscrit au point de rencontre de trois pôles, comme une intention éthique : le "Je", le "Tu" et le "Il".

Nous rappellerons ici que l'éthique est la réflexion sur la morale. Elle vise à atteindre ce qui est "bon" à partir des règles morales et des lois qui déterminent ce qui est "bien et mal". Cette disposition dynamique recherchant l'adaptation, le mieux être, demande en outre de prendre en compte les trois pôles cités.

            Le pôle "Je", comme évaluation subjective de soi par sa propre conscience, est celui de la liberté subjective et de l'individuation  qui permet l'affirmation de soi et de ses préférences. A ce stade, pour P. RICOEUR, "je suis ce que je peux, ce que je fais", mais il n'est pas question d'interdit ni de loi.

            Ce pôle rencontre ensuite le "Tu" dans une relation dialogique, c'est à dire l'autre comme non-moi. Et cette rencontre fait naître une reconnaissance réciproque de nos libertés et de nos existences : permettre à l'autre d'être libre permet réciproquement de garantir sa propre liberté. Alors si "l'autre me requiert (de l'aimer comme moi-même), par cette requête, je suis rendu capable de responsabilité" d'après P. RICOEUR. Ici, l'on demande et reçoit sa responsabilité comme une manière d'affirmer son existence.

            Enfin, le pôle "Il" est celui de la "médiation de la règle", du tiers, des valeurs formant l'idéal commun. Ce pôle neutre échappe à l'individu pris tout seul, est extérieur à lui parce que l'histoire des valeurs le dépasse. En cela, il empêche la fusion des deux autres pôles. Il se pose entre l'évaluation du "JE" et la reconnaissance du "Tu" et les amène tous les deux à sortir de leur subjectivité particulière pour se socialiser. Il s'agit de trouver un compromis général par le langage, en vue d'une coexistence. Cette intention éthique demande donc d'appliquer la règle, mais aussi de l'adapter au sein d'un dialogue. P. RICOEUR précise que "l'éducation consiste en grande partie à inscrire le projet de liberté de chacun dans cette histoire commune de valeurs. Mais le primat de la socialisation sur l'individuation n'est justifié que si l'on peut aussi dire l'inverse". Il y a donc égalité devant la règle pour soi et l'autre, et son application implique de l'intérioriser afin qu'elle devienne une voix de la conscience qui intervienne lors des prises de décisions.

            Pour KANT, l'intériorisation optimale de la loi amènerait le sujet à une exigence d'universalisation : "Examine la capacité d'universalisation de ta maxime", c'est à dire, agir de telle sorte que la maxime qui sous-tend son action soit une loi universelle. Ce formalisme qui met à l'épreuve nos désirs ne dit pas "fais ceci ou cela", ni "ne fais pas…", ce qui laisse ouvert un champ immense d'actions possibles correspondant à ce critère et préserve la liberté individuelle.  La réflexion éthique est donc possible face à cette exigence et peut aboutir à un choix responsable.

 

            P. RICOEUR précise que le formalisme kantien serait l'ambition éthique la plus haute, intermédiaire entre la liberté comme point de départ et la loi comme point d'arrivée.

Cette ambition éthique est également abordée par A.COMTE-SPONVILLE sous le terme de "prudence". Celle-ci est une morale appliquée, permettant d'éviter la toute puissance de la morale absolue. Pour les Grecs comme Aristote, cette vertu a affaire au vrai, à la connaissance, à la raison : "La prudence est la disposition qui permet de délibérer correctement sur ce qui est bon ou mauvais pour l'homme (dans des situations concrètes, non en soi) et d'agir, en conséquence, comme il convient" (Aristote dans "Ethique à Nicomaque", cité par A.Comte-Sponville). Cela correspondrait au bon sens, mais aussi à une sagesse pratique qui "suppose l'incertitude, le risque, le hasard, l'inconnu. Un dieu n'en aurait pas besoin", pour A.Comte-Sponville. Sans vouloir se contenter d'éviter les dangers, la prudence vise tout de même la prise de décision, donc demande d'affronter certains risques. Les risques restant mesurés par l'évaluation des conséquences possibles, les prévisions. A ce titre, la prudence n'est pas une science car justement, elle demande délibération et "l'on ne délibère que là où on a le choix"(A.Comte-Sponville).

 

 

            La responsabilité, caractéristique universelle liée à la dignité humaine :

 

            Respondeo en latin, signifie "faire réponse", mais aussi "se montrer digne de, à la hauteur".

D'autre part, nous relèverons le verbe latin "spondeo" qui signifie promettre solennellement, dans les formes prescrites, sur l'honneur. On peut relever les termes italiens  "sposo", promettre sa fille en mariage et "esposo", époux ; ou encore "sponsor" en anglais qui veut dire le répondant, celui qui sert de caution, qui patronne d'où "sponsoriser" qui signifie appuyer l'action de quelqu'un, le financer.

"Spendo"en grec correspond à "faire une libation", c'est à dire verser un liquide en hommage à Dieu. Ceci mène à l'origine indo-européenne de responsabilité : "religieuse" qui signifie se re-lier à la divinité. L'action se tourne ici avant tout vers autrui, a pour finalité autrui, avec une dimension sacrée. L'offrande ou la libation est proportionnelle, correspond  à la demande, c'est à dire que dans la relation, chacun doit donner, répondre de manière équivalente à ce qu'il reçoit, parce que dans le lien à l'autre, chacun est tenu responsable de veiller au respect mutuel, réciproquement.

 

            La notion de responsabilité qui aurait une dimension sacrée serait en cela une caractéristique propre à l'être humain. En effet, s'il est écrit dans la bible que "l'homme est à l'image de Dieu", il possède en lui-même une dimension inatteignable, que l'on ne peut posséder. Cette dimension sacrée le transcende vers un infini qui le fait tendre à ressembler à Dieu. La responsabilité participerait justement à cette dimension qui le transcende. Car l'homme ne possède pas sa fin en lui-même et ne peut être utilisé comme une fin, au sens kantien, c'est à dire un but, au même titre que les objets finis. Il doit donc conserver une part d'autodétermination. L'esclavage qui réduisait l'homme à être utile lui supprimait cela et atteignait sa dignité.

            Au nom de la dignité humaine, la volonté libre de chacun doit donc être respectée et la responsabilité comme expression d'une volonté autonome doit être considérée comme universelle. Néanmoins, gardons à l'esprit que si l'homme a en cela quelque chose de divin, il n'est pas Dieu… C'est pourquoi la condition de sa liberté se pose dans la relation à l'autre et est limitée par l'existence de l'autre.

            La relation responsable à l'autre est faite de réciprocité et d'échange. En ce qui concerne l'enfant, nous verrons que sa responsabilité n'est pas de rendre à ses parents autant d'amour qu'il en a reçu d'eux, mais de mettre à profit ce qu'il a reçu, en dehors de la famille au niveau de sa propre génération. Ceci semble possible à condition que les interdits fondamentaux soient transmis (l'interdit de l'inceste en particulier) et que l'enfant, ne se sentant pas redevable envers ses parents, puisse s'en séparer pour créer ailleurs. F. DOLTO disait que "honorer ses parents, c'est très souvent leur tourner le dos et s'en aller en montrant qu'on est devenu un être humain capable de s'assumer".

            Si à priori, on peut penser qu'une personne responsable est une personne digne de confiance, sur qui on peut compter du fait de ses capacités, de ses compétences ou de ses valeurs morales, il faut avouer que seule une minorité de gens serait concernée. La responsabilité peut être relativement proportionnelle aux qualités liées à l'âge ou la maturité, mais d'un point de vue philosophique, elle est avant tout cette partie de chacun de nous qui échappe au contrôle d'autrui, ce nécessaire libre arbitre, qui fonde notre unicité et notre individualité.

 

            Depuis 1789, la Révolution a aboli les privilèges pour mettre à l'ordre du jour la "Déclaration des droits de l'homme et du citoyen". Les droits sont dorénavant les mêmes pour tous sans distinctions dues à la naissance. La responsabilité redistribuée à tous les citoyens dans la démocratie est cette part de liberté fondamentale qui permet de penser la loi et de devenir co-auteur volontaire et conscient de l'instauration du bien et du progrès des valeurs et des lois.

            Cependant, la responsabilité dépend de la culture du groupe d'appartenance et des époques. Elle n'a pas toujours été considérée comme le propre de l'humain, mais était attribuée auparavant à une élite restreinte, à la tête d'une hiérarchie claire (sociétés Holistes) : les chefs, les dirigeants, les dieux ou les héros (ces derniers prenant des risques pour les autres) étaient responsables de la masse et devaient répondre de leurs fautes devant des juridictions impitoyables. Par la suite, l'apogée de la démocratie et la montée de l'individualisme a fait que chacun est aujourd'hui tenu comme étant responsable de ses actes.

            De plus, la responsabilité qui était un engagement implicite entre les dirigeants et le peuple rendaient les pouvoirs des premiers immenses, et leurs devoirs, reliés à la notion d'honneur avaient une valeur considérable. Aujourd'hui, dans le but de formaliser les responsabilités afin de les limiter et de les repartager, la question est de savoir ce qu'elles sont devenues et si elles ont étés véritablement identifiées ou pas, la justice empiétant davantage sur la morale. Ainsi, il convient de distinguer les responsabilités légales et morales afin de les prendre en compte toutes les deux sans omission.

 

 

          B. Différents types de responsabilités

 

            De façon plus approfondie, il existe différents types de responsabilités, selon les domaines d'application, que ce soit en morale, en philosophie ou en droit.

            Nous distinguerons principalement la responsabilité légale, objective (pénale ou civile) de la responsabilité morale, subjective.

 

 

                   1. La responsabilité légale :

 

            Nous avons vu que la responsabilité impliquait d'adhérer à un système fait de droits et de devoirs. C'est pourquoi en premier lieu, le sujet qui appartient à un système doit s'engager à en respecter les principes et accepter de répondre de ses actes devant la loi, pour être intégré au système et considéré comme responsable par rapport à lui.

 

En droit, on distingue la responsabilité pénale ou civile :

 

            La responsabilité pénale est "l'obligation de subir la peine prévue pour l'infraction dont on est l'auteur ou le complice". Le code pénal prévoit que "nul n'est responsable pénalement que de son propre fait" (art. 121-1 CP), et "il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre" (art. 121-3 CP). Il y a délit lorsque la loi le prévoit, en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

 

            La responsabilité civile est "l'obligation de réparer les dommages que l'on a causés à autrui de son propre fait ou de celui de personnes, d'animaux ou de choses dont on est responsable". (cf. art. 1382, 1384 CC) Le code civil prend en compte non seulement les dommages causés de son propre fait, mais aussi ceux causés par négligence ou par imprudence (art. 1383). Enfin, l'art.489-2 mentionne que "celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'emprise d'un trouble mental, n'en est pas moins obligé à réparation". Donc même lorsque l'irresponsabilité pénale a été constatée, la personne demeure civilement responsable de ses actes en vertu de cet article.

            Selon le Code Pénal de 1992, seule la loi pénale détermine les infractions et fixe les peines. Dès qu'une infraction à la loi est commise, d'ordre matériel (acte de commission ou d'omission) intellectuel ou moral (faute d'imprudence ou de négligence), la responsabilité pénale de l'auteur (principal ou complice) est engagée.

            Mais il est essentiel de distinguer la responsabilité de la culpabilité, notamment dans le cadre judiciaire. Le coupable, celui qui est l'auteur et l'acteur de l'acte, n'est pas forcément responsable et donc, ne doit pas forcément en assumer les conséquences.

 

La loi définit les causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité, qui sont :

   - L'erreur de droit et le cas fortuit ou cas de force majeur,

   - Le jeune âge, (cf. excuse de minorité)

   - L'autorisation ou l'ordre de la loi, le commandement de l'autorité légitime, la légitime

   - défense des personnes ou des biens et l'état de nécessité,

   - Le trouble mental et la contrainte.

 

            L'irresponsabilité pénale est définie par l'article 122-1 du nouveau code pénal dans ses deux alinéas (remplace l'article 64 de l'ancien Code Pénal.) : "N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes". "La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique (on ne parle plus de démence) ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime". Cet article distingue l'altération de l'abolition du discernement et fait que l'irresponsabilité pénale ne supprime plus l'existence même de l'infraction. De ce fait, l'instruction peut aboutir à un procès et à l'incarcération.

 

            C'est en particulier sur cet article 122-1 du Code Pénal que sont requises les expertises psychiatriques visant à déterminer les facultés mentales de l'accusé, sa dangerosité potentielle et son accessibilité à une sanction.

            Certains psychiatres estiment souhaitable, pour une meilleure prise de conscience de l'acte et de ses conséquences, que la procédure pénale se déroule jusqu'à son terme (le jugement). D'autant que le poids de la culpabilité non traitée, l'absence de la médiation judiciaire dans la transaction de la vengeance et la privation de la sanction réparatrice concourent à exclure le malade mental du groupe social et annulent son identité. Le "non-lieu" signifie clairement que le prévenu ne peut être jugé, ce qui le destitue de sa place de citoyen et supprime le droit à la réparation de la victime.

 

 

                   2. La responsabilité morale :

 

            D'un point de vue moral, la responsabilité est une notion subjective. "Elle suppose l'existence d'un sujet doué de conscience, de volonté libre et cause de ses actes" d'après le dictionnaire Hachette. La responsabilité morale n'est pas forcément reliée à une faute ni à la notion de culpabilité qui est présente dans la responsabilité judiciaire. Mais "pour être moralement responsable, il faut connaître le bien et le mal, avoir voulu le résultat de son acte, avoir su ce qu'on faisait et avoir agi sans contrainte"(dictionnaire Hachette). Cette condition pose le grave et difficile problème de la liberté du sujet. Sans en arriver à un questionnement métaphysique sur le libre arbitre, est libre, au sens moral, celui qui a agi sans contrainte, conformément à sa personnalité profonde.

            De ce point de vue, il semble insuffisant et surtout insatisfaisant de se soumettre passivement au droit, à la morale ou au devoir. Si le droit demande une conformité au moins extérieure à la loi, à l'intérieur, qu'en est-il de l'intention ? Est-elle nécessairement en accord avec l'action ?

 

            L'engagement moral : Si la responsabilité consiste à pouvoir s'engager envers les autres et à tenir, respecter, ses engagements, la condition de tout engagement est d'être inscrit dans un système (social, professionnel, familial…) par adhésion ou par opposition. Il s'agit d'un contrat social entre le collectif et l'individu. L'engagement se fonde sur l'existant et en même temps, il engage la personne dans son individualité.

            Il semble en cela que se sentir responsable, c'est se sentir intimement concerné.

            A. de Saint-Exupéry illustre bien le sentiment de responsabilité comme attachement réciproque à un système ou comme souci pour l'autre, par une belle formule tirée de son ouvrage "Terre des hommes" : "être homme, c'est précisément être responsable. C'est sentir la honte en face d'une misère qui ne semblait pas dépendre de soi. C'est être fier d'une victoire que les camarades ont remportée. C'est sentir en posant sa pierre que l'on contribue à bâtir le monde."

            Le sujet participe depuis une place qui est la sienne dans la société, et c'est en fonction de cette place qu'il aura à la fois prise et reçue, qu'il devra répondre de ce que son environnement pourra attendre de lui. De cette manière, le sujet responsable prend position, il reconnaît, accepte et soutient ce qui participe de sa place, de son rôle. Ce rôle qui est à la fois déterminé et choisi lui demande d'être conscient et d'assumer non seulement ses choix, mais aussi les déterminismes.

            Ainsi, il apparaît qu'être adulte, ce n'est pas seulement assumer les choix que l'on a été capable de faire et les lois que l'on a été capable de se donner, mais c'est aussi assumer ce que l'on n'a pas choisi et qui fait tout de même partie intégrante de notre place. C'est accepter les concessions propres à notre prise de position, accepter de ne pas être "tout", accepter d'avoir des limites pour permettre aux autres d'exister et d'assumer leurs propres responsabilités.

 

            La liberté et le choix dans la responsabilité : même si le sujet ne choisit pas forcément son groupe d'appartenance, il fait le choix, à un moment donné, d'adhérer ou non au système. Et le choix d'adhérer est déterminant dans le sens où il peut être compris comme un engagement du sujet à être fidèle au système.

            Parfois, il peut y avoir désaccord entre la réalité externe du système et la réalité interne du sujet. Mais si ce désaccord devient systématique, cela peut signifier soit que le sujet a fait au départ un choix mal éclairé (mauvaise évaluation de ses capacités à tenir l'engagement ou les conséquences de l'engagement) ou sous la contrainte, soit que la loi est trop rigide pour qu'il puisse l'intégrer et l'appliquer tout en préservant son individualité et son autonomie morale.

            Dans la "moralité effective", KANT souligne que "le devoir pour le devoir, ce but pur, est ce qui est sans effectivité". Ainsi, faire son devoir sans y adhérer de façon personnelle ne serait pas constructif, ni responsable. Nous avons des principes par adhésion à un système, mais agir au nom de ces principes, doit répondre tant à notre sens du devoir, qu’à notre sens du plaisir. GEADAH parle de "s'engager dans la joie". Il ne s'agit pas de subir le devoir, en ressentant un plaisir masochiste, ni de le faire par obligation ou par peur, ce qui serait source de dévalorisation et de tristesse et ne répondrait pas au sens éthique de la responsabilité. Cet auteur prend notamment comme exemple le travail du psychologue, métier inscrit dans la relation à l'autre, qui ne peut pas se pratiquer sans un certain plaisir, un certain enthousiasme, parce qu'un psychologue déprimé ne peut transmettre que de la tristesse et ne peut atteindre ses objectifs thérapeutiques.

            KANT qualifie de "conscience malheureuse" le déchirement interne entre l'idéal d'intention pure, le monde moral et le monde réel. La réconciliation paraît en outre illusoire entre vertu et jouissance, volonté pure et volonté déterminée, monde moral et monde réel…. seulement, "soumettre l'intention morale au réel (épreuve de réalité) permettrait d'éviter de pervertir le formalisme en fanatisme". Le devoir serait ainsi "la raison passée par la réalité", un devoir qui préserverait la capacité de chacun à s'autodéterminer. Cette capacité, propre à la personne humaine, s'exprime dans l'espace de liberté que lui laisse la loi.

            D'un côté, l'homme souhaiterait l'existence de règles afin de garantir sa sociabilité, cependant, son ambivalence l'amènerait à les violer tous les jours. C'est la raison pour laquelle Kant mentionne la nécessité de mettre en place des garde-fous afin de garantir la conformité des actions extérieures au devoir et ainsi préserver les libertés individuelles. Il voit ici la fonction de l'éducation, qui "forme à la liberté sous la contrainte".

 

            On observe par ailleurs que l'existentialisme sartrien a fait de la liberté un absolu et a donné une portée ontologique au principe de responsabilité. Dans "l'existentialisme est un humanisme" Sartre écrit que "l'homme est tel qu'il se veut, il n'est rien d'autre que ce qu'il se fait". En effet, Sartre prône une morale où l'homme "se fait", en choisissant ses valeurs. Il n'y aurait donc pas de valeur à priori et l'homme, condamné à une totale liberté dans ses choix, serait donc totalement responsable de ses actes, jusqu'à choisir de naître... La liberté impose selon lui une conduite authentique et met l'homme face à ses choix : "refuser de choisir, c'est choisir de ne pas choisir". L'homme doit donc assumer sa condition, et se réfugier derrières d'éventuelles "excuses" où plaider l'irresponsabilité correspondrait à manquer d'authenticité et à tomber dans la "mauvaise foi". Cette morale obligerait à prendre parti, à s'engager au risque de se tromper parfois lourdement. L'existentialisme est en cela une morale exigeante et sévère de la responsabilité. Nous serions entièrement, à chaque instant, responsables non seulement de nous-même, mais encore de tous les autres hommes. C'est dans ce sens que la responsabilité demeure un des concepts les plus élevés de la morale qui ne peut pas être réduit à la seule notion de faute, comme dans la responsabilité pénale.

 

            La plupart des auteurs en psychologie voient cela de façon plus nuancée, notamment par rapport à la dépendance du nourrisson encore inachevé. Dans le cadre d'une étude du développement "normal" de l'enfant, nous observons que plus une personne grandit, plus la part de liberté, nous dirons avec plus de justesse "autonomie", augmente et l'amène à prendre davantage de décisions, à faire des choix  autonomes. S'affranchissant progressivement de l'autorité et des images parentales idéalisées, l'enfant devenu adulte se donnera à lui-même ses propres règles, ses propres valeurs…. Celles-ci se trouveront nécessairement à l'intersection de ce qu'il aura reçu, ce qui le détermine, et de ce qu'il aura voulu librement, ce qu'il aura créé en propre.

 

            Le sens des responsabilités : on peut faire découler le sens des responsabilités des développements précédents. Cela consisterait en un ensemble de capacités qui témoignent d'une maturité suffisante pour qu'un individu soit considéré comme responsable de soi, de ses actes ou d'autres personnes.

 

            Il s'agit d'abord d'un rapport à la réalité extérieure et à la loi : avoir une connaissance suffisante du milieu dans lequel on vit pour s'intégrer et ne pas nuire aux autres, suppose en particulier de s'être approprié la loi sociale (règles, interdits, sanctions…) comme une instance positive qui permet à chacun d'avoir une place dans la société.

            Ensuite, il s'agit d'un rapport à soi-même et à ses actes : supporter d'être soi-même, non seulement à la source de fautes, capable du pire (coupable), mais aussi du meilleur. S'accepter comme imparfait mais lucide, conscient de ses limites et de ses qualités pour répondre de soi de façon adaptée.

Pour Maryse VAILLANT, être responsable c'est d'abord "reconnaître être auteur et acteur de son acte".

Acteur : "je l'ai fait"; reconnaître avoir agi quelles qu'en soient les raisons.

Auteur : "j'en réponds"; se reconnaître dans l'acte, "en assumer la paternité"

            Le rapport à l'autre, à la victime, enfin, est incontournable : reconnaître son existence, sa parole, ses droits et être capable d'empathie vis à vis d'elle. Il s'agit d'avoir le souci de l'autre lorsque l'on agit, et être conscient des conséquences que nos actes peuvent entraîner pour lui.

 

            Le développement de la personnalité pour parvenir à l'autonomie joue un rôle prépondérant dans la reconnaissance de la réalité et de l'autre par le sujet. Et cette prise de conscience s'accompagne également de l'acquisition de capacités, de moyens suffisants pour pouvoir répondre de soi et de ses actes. C'est pourquoi nous décrirons ce processus de développement dans les parties suivantes.

 

 

 

          C. Responsabilité et autonomie

 

            C'est au moment de l'adolescence, lorsque l'apprentissage de la responsabilité a lieu dans un mouvement de séparation progressif des parents, que l'interdépendance de ces deux concepts semble plus évidente. En acquérant davantage d'autonomie, l'enfant aura à assumer de nouvelles responsabilités, les attentes de ses parents envers lui seront croissantes et l'amèneront à prendre peu à peu des décisions, à donner son avis, à répondre de ses actes… Réciproquement, on peut penser que plus l'enfant devra assumer de responsabilités, plus il sera considéré comme autonome.

 

            De manière commune, est "autonome" celui qui peut édicter par lui-même ses propres règles de fonctionnement. Mais cette définition est restrictive.

            Le Petit Robert la définit comme "la distance que peut parcourir un véhicule sans avoir besoin de se ravitailler en carburant". Le fait de passer à l'âge adulte semble donc marqué par l'allongement du temps qui sépare les "ravitaillements" auprès des parents, mais souligne la différence entre autonomie et indépendance.

            -"autos", du grec, renvoie au sujet, mais dans son rapport à l'autre (autos = soi-même, to autos = le même)

            -"nomos" renvoie au sens de la loi qui lui-même trouve son sens premier de "pâturage" qui a signifié successivement "nourriture", "portion de terre attribuée", puis "champ de parole", "usage" et enfin "coutumes partagées".

            Ce mot est donc à l'intersection du social et de l'individuel.

 

            L'espace de l'autonomie, serait "la place occupée par l'appropriation de systèmes communs de fonctionnement et d'échange. Place individuelle, singulière, à l'intérieur du système. Ce à quoi s'ajoute le processus transsubjectif au travers des images et représentations que le sujet se fait de lui-même à partir des représentations que l'homme peut avoir de lui."(A. TOUATI)

            Le processus de croissance qui permet d'atteindre l'autonomie se fait en conjuguant d'une part ce qui est reçu et imposé, les apprentissages (des lois, des règles sociales en particulier, du système auquel on appartient) par les transmissions, les identifications et d'autre part ce qui fait notre individualité, notre particularité : la création. L'autonomie, c'est donc l'adaptation à l'existant sans la négation de soi, c'est s'inscrire dans le réel de manière personnelle.

 

            Armand TOUATI souligne que "Le devenir psychique impose à chaque phase de la vie une reconstruction des autonomies par la prise de conscience des dépendances nécessaires, par l'élaboration de nouveau choix. La décision signe le changement." De plus, "à travers les souvenirs de nos dépendances passées, de nos protections tutélaires, l'autonomie est à reconstruire sans cesse dans l'intermédiaire, la différenciation et la relation limite à l'autre."

            Cependant si l'autonomie doit être atteinte, il ne s'agit pas de séparations subies qui seraient alors des ruptures traumatiques dans le réel comme dans la continuité de soi selon Winnicott. Ces séparations demandent réparation, reconstruction d'une nouvelle identité différenciée pour parvenir à l'autonomie.

            Tout en donnant à leur enfant les outils nécessaires pour prendre des décisions et les assumer, les parents vont progressivement lui confier un espace de liberté dont il sera responsable; ce sera d'abord son corps puis sa chambre, ses activités, (…) auxquelles ses parents n'auront plus accès. Mais souvent, les adolescents souhaitent obtenir tout de suite une grande indépendance et ne rien devoir à personne, alors qu'ils n'ont pas forcément acquis les moyens d'être autonomes. C'est là que les parents, au nom de la confiance qu'ils mettent dans leur enfant prennent parfois des risques en lui laissant la possibilité d'expérimenter seul, mais il leur revient de savoir doser et négocier l'équilibre entre la contrainte et la liberté.

            Responsabiliser une personne, c'est donc, semble t-il, la replacer en tant que sujet autonome, lui donner les moyens de faire des choix autonomes dans un espace de liberté qui est le sien, mais aussi lui attribuer ce qui lui appartient en tant qu'acteur (conséquences de ses actes). Pour O. NUNGE et S. MORERA, "l'autonomie repose sur la capacité de faire des choix, assimiler ses propres décisions, se sentir responsable de ses actes, savoir se positionner par rapport à l'ordre social, être cohérent avec ses valeurs. C'est vivre dans l'interdépendance dans un rapport positif à soi et aux autres".

            Il ne s'agit donc pas ici de démontrer un indémontrable libre arbitre du sujet, mais de distinguer ce qui émane de lui de ce qui émane des influences extérieures, des déterminismes et des contraintes. Il ne s'agit pas non plus de tomber dans l'illusion en pensant que l'autonomie totale est possible.

 

 

            L'apprentissage de l'autonomie :

 

            Si nous naissons inachevés et donc dépendants des autres (de nos parents, de nos éducateurs, de notre environnement), la dépendance physiologique, structurelle au départ, s'accompagne aussi d'une dépendance relationnelle, affective, émotionnelle et culturelle;

Ainsi, nous nous retrouvons "emprisonnés" dans un tissus de liens complexes qui ne nous permet pas toujours d'accéder au libre choix et à la capacité de se positionner en restant soi-même, congruent (c'est à dire en vivant en accord entre ce que nous ressentons et ce que nous faisons, entre ce que nous pensons et disons).

 

            Devenir adulte et autonome se fait par étapes successives :

 

La dépendance complète : jusqu'à 11 ou 12 mois (accession à la marche), l'enfant ne peut rien faire par lui-même.

La contre-dépendance : l'enfant va agir en montrant son intérêt pour ce qui est interdit (le feu, les escaliers….)

L'indépendance : son développement physique, psychomoteur et cognitif lui permet d'accéder au langage avec le "moi, je", et des attitudes égocentriques. Il se sépare un peu de ses proches pour aller voir des camarades (école maternelle)

L'interdépendance : l'individu est capable d'adaptations tout en sachant s'affirmer. Il peut accepter la discipline tout en étant fier de ses acquisitions et de son savoir. L'enfant sait maintenant qu'il y a un "JE", mais aussi un "TU".

 

            Il semble que ces étapes se répètent à différents âges de la vie, en particulier lors des transitions : arrivée à l'école, débuts dans le monde du travail, dans la vie de couple, départ à la retraite… Mais là où ces étapes seraient les plus délicates à traverser, c'est dans l'enfance et l'adolescence. Et si les besoins correspondants n'ont pas été satisfaits (accidents, carences ou manques affectifs,…..) des difficultés se retrouveront par la suite comme entraves à l'évolution ou pour bien passer certains caps.

            Ainsi, les adolescents qui n'ont pas reçu ou pas su recevoir les outils nécessaires pour être autonomes ou au contraire, qui ont reçu tout ce qu'il faut pour rester dépendants, ne pourront pas, apparemment, assumer leur autonomie. Parmi les apprentissages, il y a ceux qui consistent à vivre avec les autres et ceux qui consistent à vivre avec soi-même.

            De cette façon, "entrer en relation, c'est reconnaître la limite, c'est construire un système autonome qui a ses propres règles, où parfois un rôle est prescrit"(A. TOUATI)

 

 

 

         D. Emotions révélatrices du sens des responsabilités

 

            Si le sens des responsabilités se caractérise en particulier par la bonne conscience qu'une personne a d'elle-même et de ses comportements, cette connaissance peut se faire par le biais de ses émotions, qui agissent comme des révélateurs.

 

            F. LELORD et C. ANDRE recensent 4 émotions "à conscience de soi" :

- Si le sujet attribue l'événement à sa personne (référence à son identité), il ressent de la honte en cas d'échec et de l'orgueil en cas de succès

- Si le sujet attribue l'événement à son comportement, il ressent de l'embarras ou de la culpabilité en cas d'échec et de la fierté en cas de succès.

 

                   1. La culpabilité

 

            Il s'agit d'une expérience mixte, c'est-à-dire qu'elle comprend plusieurs sentiments, mais pas toujours ceux qu'elle laisse supposer. D'autre part, nous relevons deux types de culpabilité : la culpabilité saine et la culpabilité malsaine encore appelée "culpabilité-camouflage".

 

            La culpabilité saine est une émotion mixte :

C'est l'expérience que nous vivons lorsque nous posons délibérément un geste qui est en désaccord avec nos valeurs. La culpabilité saine suppose toujours deux choses :

            - Que l'on ait dérogé à nos valeurs et standards

            - Que l'on ait eu le choix de le faire

 

            Il est important de préciser que ce n'est pas parce que l'action est impulsive qu'elle n'est pas libre. Il semble que ce n'est pas la colère qui ait emporté la personne, mais la personne qui s'est laissé entraîner par sa colère.

 

            La culpabilité recouvre plusieurs émotions : nous sommes en colère contre nous-même d'avoir outrepassé nos principes, nous n'admettons pas de blesser et nous venons de le faire. Nous nous en voulons d'avoir cédé à l'impulsion et nous regrettons d'avoir fait mal à notre ami que nous aimons et qui ne mérite pas un tel traitement.

L'action posée crée donc un déséquilibre interne, qui consiste en un désaccord avec son moi. La culpabilité nous indique ainsi que nous avons été infidèle à nous-même dans une situation où nous avions le choix d'y être fidèle.

 

            La "culpabilité camouflage", une émotion mixte.

 

Exemple :

            Ma sœur désire fortement nous accompagner, mon ami et moi, pour nos vacances. Elle vient de se séparer et je la sais fragile. J'aime beaucoup ma sœur et trouve difficile de refuser sa demande car elle sera très déçue. Par contre, je nous imposerais un gros sacrifice à mon ami et moi en l'invitant à partager nos vacances. Je me trouve égoïste et me sens coupable.

            C'est un déguisement de notre refus d'assumer nos propres désirs, sentiments ou choix. Dans l'exemple, je sais ce que je veux, mais je ne le supporte pas.

            Il s'agit d'une émotion mixte parce qu'elle contient plusieurs émotions dont certaines sont masquées : on trouve en général la colère contre le fait de devoir porter ce que nous vivons, contre celui que nous tenons responsable d'être dans la situation de prendre une position que nous trouvons difficile à prendre. La peur d'afficher nos priorités, peur des conséquences de notre choix. La peine à l'idée de décevoir…

 

            La culpabilité sert ici à éviter d'assumer les conséquences des nos actes : la culpabilité diminue à nos yeux notre responsabilité dans le choix que nous ferons. Notre action est moins grave parce que nous la posons "à regret". Dans l'exemple, j'ai moins l'impression d'être un égoïste si je me sens coupable. J'obtiens donc grâce à mes yeux. Dans certains cas, sous prétexte de culpabilité, nous n'agissons tout simplement pas.

            Elle sert d'autre part à neutraliser la réaction de l'autre : si nous avouons que nous posons un acte avec culpabilité, l'autre devrait nous en tenir moins de rigueur. L'aveu de notre culpabilité peut donc être une manière de manipuler pour diminuer les conséquences de notre geste.

            Cette émotion remplit donc souvent ces deux fonctions à la fois : se donner bonne conscience et contrôler la réaction de l'autre. Elle est pernicieuse parce que c'est un stratagème pour éviter de s'assumer.

 

                  2. La honte

 

            Il s'agit d'un "sentiment pénible de son infériorité, de son indignité ou de son abaissement dans l'esprit des autres."

Exemples :

J'ai honte de montrer que j'ai peur de parler en public

J'ai honte du comportement que j'ai eu après avoir bu un verre de trop.

J'ai honte de ma famille

J'ai honte de mes fantasmes sexuels.

 

            La honte est également une émotion mixte. C'est la version sociale de la culpabilité. On n'éprouve jamais de honte face à soi-même, il s'agit d'un sentiment toujours vécu "devant" les autres et "par rapport" à leur jugement.

            La honte survient lorsqu'on est visible dans un aspect de soi qu'on juge très négativement. Elle est composée d'une réaction d'humiliation devant le jugement de l'autre et de son propre jugement négatif (culpabilité qu'on porte à soi-même sur cet aspect.)

            Il est important de relever que le comportement source de honte est perçu négativement à la fois par les membres du groupe et par la personne concernée qui a cédé à ce comportement et le regrette ensuite. Mais aussi, ce comportement atteint directement ce qui défini l'identité de la personne dans le groupe, et est en cela lié à l'estime de soi. C'est pourquoi même un détail peut venir gâcher tout ce que nous représentons aux yeux des autres dans le groupe.

 

            La honte permet de constater que nous n'assumons pas ce qui nous fait honte et souvent, nous avons du mal à en parler. Elle permet aussi d'identifier le jugement que nous portons nous-même sur le sujet. (C'est justement ce jugement qui rend difficile de l'assumer). Enfin, elle nous informe de l'importance des personnes devant lesquelles nous vivons cette honte.

            Aussi, elle est la marque que "la personne a fait siennes les normes du groupe en matière de règles et de buts" selon  François LELORD et Christophe ANDRE.

Ces auteurs relèvent 4 domaines dans lesquels la honte peut survenir si nous ne parvenons pas à atteindre les normes du groupe : la conformité, les comportements d'entraide et de réciprocité, la sexualité (performances, préférences plus ou moins avouables…), le statut/compétition.

            Ce qui nous fait honte : le sentiment de ne pas être comme les autres, d'être différent. Une personne qui adhère aux normes du groupe pourra ressentir une vraie honte si elle est "prise la main dans le sac" pour manquement à ces normes. Mais si elle y est indifférente, ou qu'elle sait que sa faute est justifiée et occasionnelle, tout en gardant confiance dans ses capacités habituelles, il se peut qu'elle ne ressente que de l'embarras.

            Exemple : une personne rend le brouillon de son rapport et son patron est mécontent de cette présentation. Cette personne sait qu'elle l'a fait parce qu'elle manquait de temps, que ce rapport lui avait été donné à faire à la dernière minute et qu'elle est capable de mieux faire. Elle ne ressent donc que de l'embarras.

 

            Utilisation défensive : éviter les jugements.

            Il est difficile de s'exposer au jugement de l'autre et de consentir à être humilié. Si nous considérons comme puérile notre peur de parler en public, il est normal que nous craignions que d'autres portent le même jugement que nous. En nous exposant à leur critique, nous prenons le risque d'être humilié.

            Par contre, si nous ne nous exposons pas dans ce que nous sommes, nous perdons l'occasion de nous assumer. Il est particulièrement important, pour croître, que nous confrontions les objets de notre honte. C'est par ce chemin que nous pouvons régler le problème qui en est la source.

Comme pour la culpabilité, la honte rendrait les autres plus indulgents et nous rendrait sympathique pour les autres. Elle jouerait donc un rôle d'apaisement en cas de conflit ou de faute.

 

 

 

 

  WINNICOTT D.W. (1958). La capacité d'être seul, in De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris : PAYOT.

LEONARD A. (1991). Annexe : la transcendance d'autrui chez Lévinas, in Fondement de la morale, Paris : Cerf, p.223-227.

HUISMAN D. (1997), Histoire de l'existentialisme, France, Nathan Université, p.85-100

DOMENACH JM. (1994), La responsabilité, Paris : Optiques.

Ibid.

RICOEUR, P., (1990), Avant la loi morale : l'éthique ; in "symposium" (TI) - Encyc. Universalis, p. 62-66.

KANT cité par P. RICOEUR

COMTE-SPONVILLE A. (1995), "La prudence" in Petit traité des grandes vertus, coll. "Perspectives critiques", Paris : P.U.F.

DOLTO, F et A. RUFFO, A. (1999) L'enfant, le juge et le psychanalyste, Paris : Gallimard, p.36.

Dictionnaire de la langue française, Hachette multimédia ou Hachette livre, 2001.

DELATTRE, M. (1991). Le respect effectif, in Le devoir, Paris : Ed. "Quintette"

SARTRE, J.P. (1946). L'existentialisme est un humanisme, Genève : Navel

VAILLANT, M. (1999). La réparation, de la délinquance à la découverte de la responsabilité, Paris : Gallimard

TOUATI, A. (1991). Autonomies, Marseille : Editions "Hommes et perspectives".

 

Ibid.

.PREVOST, C.M. (1986). La volonté, QSJ n°353, Paris : PUF.

LELORD, F. et ANDRE, C. (2001) La force des émotions, Paris : Odile JACOB, 373 p.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :