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Béatrice Rengade, psychologue

La délinquance à l'adolescence

4 Juin 2009 , Rédigé par Béatrice RENGADE Publié dans #ARTICLES - ETUDES

 

                   La délinquance à l'adolescence

 

ETUDE - PARTIE THEORIQUE

Béatrice RENGADE

2002

La délinquance et la violence à l'adolescence.

 

La délinquance a un sens essentiellement juridique qui renvoie à la loi et à la transgression. Est dit "délinquant", l'individu qui ne se conforme pas aux termes de la loi. Les limites de la délinquance sont donc variables d'un pays à un autre ou même d'une période à l'autre de l'histoire. La délinquance peut-être liée aux troubles de l'adolescence qui s'inscrivent dans un développement "normal" de la personnalité, mais peuvent aussi être le symptôme d'une pathologie installée ou naissante.

Nous avons vu précédemment que l'adolescence était un passage de remise en question de l'identité aboutissant à la maturation des instances psychiques telles que le Moi, le Surmoi et l'Idéal du Moi. Aussi, le conflit entre ces instances encore fragiles qui s'ajustent les unes aux autres peut faire émerger des comportements anti-sociaux. Ces comportements sont cependant difficiles à distinguer des comportements pathologiques avérés, c'est pourquoi nous pourrons relever des traits psychotiques, limites ou psychopathiques dans les comportements adolescents.

Si la délinquance peut-être une façon de s'affirmer et si  la transgression des normes peut permettre d'éprouver et de distinguer les limites extérieures au moment de l'adolescence, il peut également s'agir de « sujets dont l’acte trahit une incapacité de maîtrise des pulsions et dont le Moi n’est pas assez fort pour en assumer les conséquences » d'après Claude BALIER. Dans ce cas, la gravité des comportements peut dépasser la problématique adolescente, le sujet recherchant un moyen ultime pour éviter d’assumer les conséquences de ses actes et éviter de vivre avec une réalité trop difficile à assumer, ce qui peut mener jusqu'à la psychose.

           

Les troubles du comportement de l’adolescent ou la délinquance juvénile constituent une crise s’ils ne persistent pas. Sinon, ces états s’apparentent à ceux des « états limites » : périodes de régressions, réactualisation du conflit œdipien en relation avec la poussée pulsionnelle propre à cet âge, vécu dépressif qui peut être masqué par les troubles du comportement.

            Ces comportements pouvant traduire une dépression masquée ne seraient « non pas élaboration de la position dépressive mais évitement de la réalité décevante et repli sur des positions fantasmatiques infantiles qui traduisent le maintien des investissements des imagos archaïques » (PH. JEAMMET cité par C.BALIER). Cependant, ces imagos parfois toutes puissantes ont un caractère menaçant, intrusif et envahissant et représentent un danger pour l’adolescent qui essaie de s'en séparer. D’où sa peur de la passivité et l’utilisation du mécanisme de défense de l’identification à l’agresseur :

            Le jeune édicte lui-même les règles auxquelles les autres doivent se soumettre à son égard, il manifeste des exigences brutales, incohérentes d'un Surmoi tyrannique (au sens de M.KLEIN, dans la position schizo-paranoïde). Ceci l'amènerait à répéter les violences vécues, les ruptures, les échecs.

Par la répétition, les adolescents remettraient en scène des problèmes vécus au sein de leur famille, ou plus encore, leurs agirs reproduiraient ceux de leurs parents où seraient en réaction à ceux-ci. Cette répétition d'événements passés serait alimentée par l'illusion inconsciente d'atteindre un état sans tension, sans douleur, alors que paradoxalement les événements répétés ont été, et sont source de souffrance.

            "L'adolescent en proie à la répétition compulsive serait en quête d'un baume pour panser une blessure à vif" (Louise Doré). Un être humain réagit aux violences qu'il a subies mais qu'il n'a pas liquidées en les reproduisant : soit dans les agirs destructeurs, soit dans les agirs autodestructeurs, soit dans les deux à la fois. Les comportements d'agression des adolescents ont donc un sens et un but précis.

            L'adolescent agresseur présente souvent une piètre estime de lui-même et des besoins narcissiques telle une très grande dépendance affective. Ce constat nous permet de comprendre l'intensité de leurs réactions au regard de menaces réelles ou imaginées à leur intégrité. L'agression se voudrait ici un moyen de diminuer l'autre, afin de se revaloriser soi-même ou de projeter sur l'autre ce qu'il ne peut intégrer afin de préserver son image idéale.

 

L'adolescent et la psychopathie :

 

Selon B. Grünberger, il faut différencier l'agressivité des adolescents comme production du Moi visant à la maîtrise de l'objet (liaison libidinale, principe de plaisir), de l'agressivité libre des psychopathes marquant une difficulté du lien objectal (déliaison, désintrication des pulsions, désinvestissement de l'objet) et qui est le destin de l'instinct de mort lié au narcissisme, à ne pas confondre avec le principe de plaisir.

Dans ce cas, Bergeret parle de "violence fondamentale ou primitive" : animée ni par la haine ni par l'amour, c'est un instinct de survie reposant sur un fantasme primaire (non sexualisé) qui se résumerait par la loi duelle narcissique du "Moi ou elle" (relation précoce à la mère) avec la fantasmatique de dévorer ou d'être dévoré, de tuer ou d'être tué, lorsque la violence n'est pas intégrée dans un fonctionnement libidinal assez organisateur. Le rôle de l'imaginaire de la mère et de l'environnement sera essentiel pour permettre l'élaboration, la mise en représentation, l'intrication des pulsions dans une fantasmatique tour à tour orale, anale, phallique et génitale et pour la structuration du fonctionnement mental.

            Cependant, si l'on considère que La psychopathie est une position et non une structure de personnalité, comme le souligne A. MAURION, des tendances psychopathiques avec ou sans passage à l'acte, peuvent apparaître chez tous les sujets et d'autant plus chez l'adolescent, en lien avec une problématique narcissique. Il convient de ne pas assimiler la psychopathie avec la délinquance, malgré le recourt privilégié au passage à l'acte.

 

A. MAURION recherche ce qui préside à ces agirs et relève en particulier :

la tension interne préexistante : le sujet n'a pas accédé à la notion de désir comme expression des pulsions, du fait d'un manque d'élaboration symbolique dans le rapport primitif à une mère omnipotente. Il s'agit donc ici d'une décharge de tensions telle un besoin vital, qui permet de ressentir une jouissance, archaïque et éphémère, mais non un plaisir relevant d'une personnalité intégrée.

La culpabilité inconsciente, "à la mesure d'un Surmoi primordial profondément destructeur". Dû à la défaillance du tiers paternel, ce Surmoi est basé sur la loi du Talion qui ne permet ni réparation ni pardon et conduit le sujet à se faire mal et à avoir recours à des conduites ordaliques.

Les "dyspositionnements familiaux", c'est à dire le manque de différenciation entre les générations, les sexes, les rôles. Le sujet n'a pas, semble t-il, de place propre dans la filiation.

 

Les conduites décrites par D.MARCELLI et A.BRACONNIER peuvent être les suivantes :

 

Conduites de dyssocialité :

Impulsivité, agressivité avec brusquerie et soudaineté des passages à l'acte, suscités par la moindre frustration. Qui peut être tourné vers les autres ou lui-même (accidents, tentatives de suicide…). Sans conscience des conséquences et parfois sans culpabilité, le sujet s'en vantant souvent.

Instabilité dans tous les secteurs, comportemental, affectif, scolaire, professionnel : hyperactivité, inattention, labilité thymique, relations chaotiques dans une quête affective toujours insatisfaite alors que le sujet ressent le besoin d'une satisfaction immédiate.

Les relations humaines sont marquées souvent d'un contact très facile d'un premier abord, séducteur, mais le lien étant noué davantage par recherche d'intérêt, de bénéfice immédiat et peut se retourner brutalement vers l'agressivité et la froideur méprisante. Le psychopathe se montre exigeant, dominateur, possessif, jaloux.

 

 

Conduites de retrait :

la fragilité et l'extrême angoisse sous-jacentes amènent le sujet à se réfugier dans la passivité (oisiveté, désoeuvrement, intérêts superficiels, temporaires, accumulation de passe-temps pour lutter contre l'ennui).

La dépendance complète cette passivité, dans le sens où il n'y a pas d'autonomie réelle, ce qui accentue le sentiment de dévalorisation de l'individu. Celui-ci trouve refuge dans le retrait narcissique qui entraîne souvent des ruptures des relations.

Enfin, les décompensations aiguës lorsque surviennent des moments dépressifs profond avec pessimisme et désarroi : réactions de projections persécutrices, report de la responsabilité des actes sur les autres. Le sentiment de culpabilité est remplacé par la souffrance, la honte, les plaintes sur soi-même. Les passages à l'acte suicidaires, les prises de drogue ou d'alcool de façon impulsive et massive sont les risques de ces épisodes aigus.

 

 

            La violence des adolescents peut avoir un lien avec des difficultés d'identification et un défaut d'élaboration symbolique liés à des carences affectives précoces ou des violences d'un ou des parents. "Enfants privés d'amour, ils deviendront des adultes pleins de haine", selon R. SPITZ (étude sur l'hospitalisme des enfants). L'agressivité ne peut donc trouver un sens positif, contrairement à ce qu'elle représente dans l'approche de M. Klein ou de D.W. Winnicott.

            Aussi, Winnicott explique que "si la tendance anti-sociale perdure, c'est que la déprivation a été trop longue pour que l'enfant puisse maintenir le souvenir vivant de l'objet", il partirait donc à sa quête en se heurtant progressivement à un environnement de plus en plus large lorsque celui-ci ne l'arrête pas : les parents, la famille élargie, l'école, la police, le juge…

            Mais dans les agirs de type psychopathique, A. MAURION précise qu'il peut s'agir autant de sur-stimulations pouvant aller jusqu'à la manipulation incestueuse, l'excès d'amour, que de négligences, d'abandonnisme. A un stade d'immaturité et de grande dépendance de l'enfant à sa mère. Ces violences font effraction dans le sujet comme un traumatisme majeur, qui peut être à l'origine "d'éclosion psychopathique" à l'adolescence, lorsque la personnalité se construit.

J.-P. CHARTIER décrit le comportement des adolescents asociaux ayant un passé douloureux fait de maltraitances. D'après lui, ces adolescents n'auraient pas forcément manqué d'identification. Au contraire, il se peut que leurs parents les aient trop aimés pour qu'ils n'aient pu les aimer à leur tour. L'espace insuffisant qui les séparait de leur mère en particulier, ne leur a pas permis d'aller vers elle et surtout, de s'affirmer tel qu'ils le souhaitaient, eux. La quasi fusion de cette relation qui a peut-être disqualifié la fonction paternelle, ne leur a pas donné l'espace pour penser, pour se penser. La fonction paternelle a été perçue, mais pas forcément intégrée. De ce fait, ils ont parfois le sentiment d'avoir été utilisés comme un objet de projection narcissique par leurs parents, qui eux, ont l'impression d'avoir "tout fait pour eux". Mais pour ces jeunes, qui ont le sentiment d'avoir servi de béquille à leurs parents, les adultes ont une dette envers eux.    Par conséquent, ils semblent difficilement capables d'empathie envers les autres, ce qui leur confère une attitude assez froide et dénuée de culpabilité dans certains cas. De plus, ils n'ont pu accéder à l'autonomie, du fait d'une extrême dépendance psychique à leur mère, ce qui renforce leur culpabilité inconsciente ( à différencier du sentiment de culpabilité ).

            Les conséquences d'une telle relation affective avec leurs parents peuvent être très graves : effondrement du moi, psychopathie (avec des actes héroïques, surhumains commis afin de prouver son existence) et même paranoïa (mégalomanie et mélancolie). Au niveau des adolescents décrits par JP CHARTIER, on peut donc retrouver certains aspects de ces pathologies.

 

Le comportement des "incasables" s'organise autour du triptyque des "3D" :

 

Le Déni : "incapacité à se situer en tant que responsable de ses actions", qu'il attribue à autrui (projection) en se positionnant comme victime. Il s'agit aussi du déni des conséquences de ses actes, d'où les conduites "ordaliques" qui l'amènent à prendre des risques considérables, s'en remettant littéralement au jugement de Dieu (cf. le film "La fureur de vivre"). Ce jeu avec la vie et la mort montre que les limites essentielles n'ont pas été intégrées et que le sentiment de toute puissance n'est pas révolu.

Le Défi : "du droit et de l'autorité sous toutes ses formes, mais aussi de l'autre et de soi-même, censés démontrer son omnipotence". Et c'est par l'agir qu'il s'affirmera dans sa toute puissance narcissique.

D'où le Délit comme mode de comportement privilégié, comme agir de type psychopathique. Celui-ci sera souvent impulsif, imprévisible, brutal. "Il ne s'agit en aucun cas de différer l'accomplissement de l'acte interdit, mais de procéder à son exécution immédiate". L'agir qui est une nécessité interne n'a en outre aucune valeur symbolique de message adressé à l'autre, mais correspond à une décharge de tension située dans le réel, le présent immédiat.

 

 

 

Evolution de la violence des adolescents

 

            D'après Serge LESOURD, psychologue et psychanalyste :

 

            Il semblerait aujourd'hui que la violence des adolescents renvoie plus à un sentiment d'existence subjective, une tentative de construction d'une limite entre le sujet et l'autre : le jeune se confronte au Surmoi archaïque, primaire, celui de la jouissance décrit par M. KLEIN. Il s'agirait donc d'une problématique identitaire, narcissique, qui trouverait ses fondements dans le développement archaïque de l'enfant et contraindrait le jeune à lutter pour la survie, pour la conservation de son "objet interne" au sens de M. KLEIN, précurseur du Moi.

            Le message que transmet la société de consommation paraît pathogène dans le sens où il prône des idéaux en fait inaccessibles d'un bonheur parfait, de relations à l'autre parfaitement complémentaires et sans faille, de corps sans défaut… Face à cela, l'adolescent doit se débrouiller seul avec ses désillusions, ses déceptions et trouver sa place dans le discours social en supportant ce  déni : l'impossible accès au bonheur absolu, à la jouissance, l'absence de garanties dans l'autre, et l'impossible vérité.

Le regard de l'autre est perçu comme offensant, destructeur et vient persécuter le sujet imparfait, qui se met en guerre contre l'exclusion et pour la survie.

 

            Ainsi, la violence comme transgression de l'Interdit de la loi du père rattachée à une résurgence de la problématique Oedipienne, serait-elle en passe de disparaître ? Le problème ne serait plus, semble-t-il, celui de la triangulation, de la relation à la loi. Car ce n'est plus de délinquance classique dont il serait question, mais de violence archaïque. Il n'y a pas forcément rivalité, conflit, mais mise en acte de l'envie avec une nécessité de détruire l'autre ou soi-même pour trouver sa propre place.

            La référence n'est plus l'Interdit et le permis, mais la limite en terme de possible et impossible. Il ne s'agit plus du crime du père, mais de crime contre l'humanité, de meurtre de masse. Il y a glissement des interdits, des références et donc de la violence.

Si, avant, le vol pouvait être compris sur un plan symbolique comme une manière de prouver sa capacité phallique à commettre l'acte ou à obtenir l'objet lui-même, aujourd'hui, ce même vol sera souvent commis avec des violences. Et cette dimension agressive contre des gens ou des symboles semble prendre une dimension de plus en plus importante, comme s'il s'agissait d'un combat pour la survie, d'un besoin imminent de montrer que l'on existe au détriment de l'autre.

 

Jean-Marie PETITCLERC, éducateur spécialisé, va dans le même sens en montrant les nouvelles caractéristiques de la délinquance juvénile. Il constate une proportion élevée, dans les statistiques, des coups et blessures et des atteintes volontaires contre les personnes dans l'ensemble des infractions commises contre les personnes par les mineurs, ainsi que d'une part légèrement plus importante des vols avec violence. Aussi, Les destructions et les dégradations visent les biens publics, en particulier. La délinquance de proximité semble avoir augmenté, mais surtout, la délinquance auparavant surtout déterminée par l'appât du gain, utilitaire, a aujourd'hui une dimension symbolique et est plus violente. 

 

            En conséquence, cet auteur affirme que l'intervention ne peut rester identique. Il ne peut plus s'agir que de susciter quelque chose de l'ordre de la culpabilité, en rapport à la castration, à la transgression et à l'objet, par la punition. Mais nous devons restaurer quelque chose du lien entre l'adolescent et la société et l'aider à trouver sa place et son identité.

            La loi se doit d'être d'avantage limitatrice, séparatrice, assurant une différentiation, au lieu d'être castratrice et culpabilisante. Allier la contrainte au soutien paraît néanmoins fondamental pour palier à l'Idéal du Moi archaïque tout puissant du jeune.

 

 

Plaisir immédiat et manque de continuité :

 

L'adolescent est en pleine phase de transition qui met en jeu, comme nous l'avons vu, toutes sortes de contradictions provenant d'une séparation à coordonner avec une identification nouvelle. C'est pourquoi il a particulièrement besoin d'un environnement stable : si le cadre est assez solide et cohérent, il pourra s'y heurter, et se positionner par rapport à lui. Ce qui sera favorable à la constitution de l'Idéal du Moi, instance qui assure le maintien d'une identité stable. Au contraire, l'absence de permanence des attachements ne permettra ni le conflit, ni l'identification. Ce qui sera le terrain propice aux pathologies adolescentes.

Certains jeunes "délinquants" décrits comme intolérants à la frustration, à la recherche du plaisir immédiat, ne semblent pas pour autant jouir de ce plaisir, s'en réjouir et s'en nourrir pour grandir, la jouissance étant du ressort d'un Moi unifié, inscrit dans la relation. La recherche de satisfaction immédiate relèverait ici plus de la survie : incapables de différer la satisfaction et de se représenter l'objet désiré, ces jeunes se plaignent d'un "vide intérieur" selon T.ANATRELLA et ne savent plus véritablement ce qu'ils veulent. Il s'agirait donc davantage d'une décharge de tensions que le Moi trop fragile ne semble pouvoir contenir ou exprimer de manière adaptée, ceci correspondant à la position psychopathique.

            Aussi, agissant dans une perspective à court terme, la construction de soi avec un sentiment de continuité est défaillante. L'aspiration principale du moi est de faire des liens pour instaurer ou conserver une unité objectale. Mais lorsqu'il est faible, n'ayant sans doute pu se construire du fait de carences ou de traumatismes répétés, il use de nombreux mécanismes de défenses pour lutter contre les angoisses (déni, clivage, isolation, déplacement, refoulement…), et ceux-ci empêchent les liens. Etablir une relation entre l'acte et ses conséquences n'est donc plus évident, dans la continuité chronologique et logique. Et l'adolescent a du mal tant à se projeter dans l'avenir de façon réaliste (et non idéalisée ou magique) qu'à anticiper les risques de ses comportements.  

            Le rapport au temps de ces adolescents est ainsi perturbé, dans le sens où leur passé douloureux et impossible à intégrer ne leur permet pas de tirer profit de l'expérience vécue.

J.P. CHARTIER met en évidence que ces jeunes restent ainsi enfermés dans un présent immédiat, vivant sur le mode du "tout, tout de suite" ou "rien, jamais". Car "pour eux, patienter est insupportable et différer ou retarder signifie refuser leur demande". Enfin, ils ne peuvent envisager leur futur, qui est comme inexistant ("no futur").

 

            Le titre d'un roman de Paul BOURGET exprime bien les répercussions de ce fonctionnement délinquant, qui consiste finalement à s'affirmer de manière négative, sur eux-mêmes : "Nos actes nous suivent et leurs répercussions dessinent une image de nous-même". Dans cette optique, reconnaître ses erreurs serait prendre le risque d'une remise en question de son identité tout entière. C'est pourquoi une personne souffrant d'une mauvaise estime d'elle-même aurait sans doute plus de mal à reconnaître qu'elle est l'auteur d'une faute et qu'elle a causé des dommages à autrui, ne pouvant supporter une atteinte supplémentaire à son image. 

 

 

Place de la loi

 

La confrontation à la loi est essentielle pour faire cesser les comportements délinquants ou violents et confronter la personne aux conséquences de ses actes (prise de conscience de l'acte et des pertes liées à l'acte, responsabilisation). Mais cette confrontation souvent ponctuelle ne peut engager de véritable changement si elle n'est prolongée par d'autres mesures.

 

Si la justice est là pour sanctionner afin de garantir le respect du cadre dans lequel nous sommes tous inscrits en tant que membres de la société, ses buts ultimes se voudraient aussi structurants :

 

l'institution de la justice est un tiers neutre, dans les conflits, qui amène l'apaisement, la verbalisation et la rationalisation.

 

La loi comme tiers séparateur différencie et protège les libertés individuelles en instituant les limites de la responsabilité de chacun (en termes de droits et de devoirs). Ce tiers renvoie à la fonction symbolique du père, qui vient différencier la mère et l'enfant et ménager l'espace d'expression qui est celui de la liberté individuelle et qui permet la créativité, mais aussi le dialogue entre deux personnes totales.

 

La loi qui détermine le statut et la place de chacun dans la société permet la structuration de la personnalité par l'identité.

 

La loi comme porte-parole de l'ensemble des acteurs sociaux amène à renoncer à la toute puissance issue de l'illusion d'avoir tous pouvoirs sur la réalité et d'être un justicier ou le seul acteur du changement. . Parfois, le rapport à la justice inaugure le rapport à la loi qui n'a pu se faire dans la famille pour certains adolescents, et rappelle l'existence d'interdits : tout n'est pas permis.

 

La sanction comme confrontation aux conséquences de ses actes peut faire émerger une autocritique avec la prise de conscience des pertes qui peut avoir un effet dissuasif sur la récidive et motiver le changement. Mais s'il semble que la peur de l'emprisonnement puisse être dissuasive, la question serait de savoir si après une expérience d'emprisonnement, cette peur a encore un effet. Aussi, l'emprisonnement dont nous reparlerons en troisième partie, qui implique une attitude passive de soumission au châtiment et ne génère que remords et culpabilité, ne semble pas forcément constructif au regard de la responsabilisation. C'est pourquoi certaines mesures socio-éducatives semblent intéressantes.

 

BALIER, C. (1988). Psychanalyse des comportements violents, Paris : PUF

JEAMMET, PH. (1985). La dépression chez l'adolescent, in Traité de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, S.LEBOVICI, R.DIATKINE et M.SOULE, Paris : PUF, T.2, p. 305-325.

DORE, L. (1992). La compulsion de répétition ou l'emprise des fantômes du refoulé, Essai dans le cadre d'une formation en thérapie psychanalytique, Québec, 106 p. 

MAURION, A., La psychopathie, le psychanalyste à l'écoute de la délinquance, Conférence du 9 janvier 1991, Séminaires Psychanalytiques, Paris : inédit.

MARCELLI, D. et BRACONNIER, A., (1996), Adolescence et psychopathologie, Paris : Masson 4ème édition.

 

WINNICOTT, D.W. (1958). La tendance anti-sociale, in De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris : PAYOT.

CHARTIER, JP. (1989). Les incasables : alibi ou défit, Marseille : Edition hors série du Journal des Psychologues

LESOURD, S., Article "Jouissance et destructivité, références modernes de la violence", Le Journal des psychologues n°190, septembre 2001.

PETITCLERC, J.M. (2001). Les nouvelles délinquances des jeunes, Paris : DUNOD

ANATRELLA, T. (1998), La différence interdite, France, Flammarion.

Ibid. note 45.

 

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